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Vous avez dit luxe ?

D’aucuns pourraient croire que la supervision trouve son utilité là où il y a problème. Ainsi, un coach qui ne rencontre pas de difficultés dans sa pratique, n’aurait pas besoin de « se faire » superviser. Et s’il fait appel régulièrement à un superviseur, ce serait alors davantage par mesure préventive. De là à penser qu’un coach expérimenté, mieux assuré dans sa posture et ses interventions, aurait moins besoin de supervision, il n’y a qu’un pas. Que je me garderai bien de franchir, bien sûr. 

S’il y a un luxe quelque part, c’est bien de pratiquer le coaching sans disposer d’un espace de prise de recul – pour n’évoquer que cet aspect. Un luxe dangereux, disons-le : pour le client d’abord, pour son environnement ensuite, pour le coach lui-même enfin.

 

Déontologie de façade ?

Le marché se professionnalise. Les acheteurs de coaching savent de plus en plus souvent de quoi ils parlent – souvent formés eux-mêmes auprès d’organismes reconnus – et, dans les appels d’offres par exemple, il est désormais presque systématiquement demandé que les coachs soient supervisés, et puissent l’attester. Cela rend parfois la vie des coachs (externes) plus difficile, mais c’est évidemment une évolution positive. Du coup, les écoles de coaching élargissent leur offre en y intégrant de la supervision, les coachs y recourent plus « naturellement » et tout le monde est content.

 

Content ? Peut-être. Mais convaincu ? À voir… 

Quelques-uns de mes supervisés m’ont dit avoir réalisé l’importance de la démarche à partir du moment où ils l’ont engagée. Je leur sais gré d’avoir eu cette franchise, et de retrouver chez eux cet appétit de grandir qui résonne avec le mien, et avec mon propre souci de disposer de cet espace si particulier. Recourir à un superviseur pour répondre à des critères de marché peut se comprendre, mais ne peut être suffisant. Sans doute, un des signes de maturité professionnelle est d’être supervisé parce qu’on le choisit vraiment.

 

De quelle nécessité professionnelle parle-t-on ?

La supervision n’est pas propre aux coachs, mais concerne la plupart des métiers d’accompagnement, et notamment ceux où la dimension psychique de la relation est prééminente : métiers de la sphère « psy », travailleurs sociaux, etc. Pour reprendre la définition donnée par S. Nadot et S. Bruno2 : « la supervision est à associer à un retour sur activité ayant pour effet de développer une maîtrise chez celui qui y est impliqué ». E. Murdoch et F. Adamson3 parlent quant à elles d’ « un lieu où les coachs peuvent déposer leurs préoccupations telles qu’elles surviennent dans l’exercice de leur métier ». Je préciserais pour ma part qu’il s’agit d’une alliance de travail dans un espace sécurisé qui a pour objet de permettre aux supervisés de développer leur expertise, leurs compétences éthiques, leur confiance en eux-mêmes et leur créativité. 

Il s’agit donc bien, en sus de ses fonctions normative et de soutien, d’un lieu de développement. Mais n’omettons pas le fait que la supervision s'inscrit aussi dans une finalité qui, outre le développement des coachs, vise à délivrer une prestation la meilleure possible au service des clients finaux.

Ces quelques lignes pour tenter de cerner le concept ne sont pas étrangères à mon propos. Le « qu’es aco » du titre inclut implicitement le quoi et le pour quoi, le premier étant au service du second.

Le coaching étant une expertise de process, entre autres, et non de métier (pas celui du client en tout cas), il ne peut s’autoriser aucune certitude définitive. Le coach en situation navigue nécessairement dans un monde d’options : rebondir sur telle information plutôt que sur telle autre, interpréter un signe ou un creux dans le discours – ou l’ignorer, choisir tel mode d’intervention ou tel autre, privilégier l’échange ou mettre le client en mouvement, reformuler ou confronter, etc. Les choix possibles sont sans limites. Et dans cette « danse » avec son client (personne ou collectif), le coach apporte – importe ? – tout ce qu’il est, tout ce qu’il sait, tout ce qu’il peut. Mais jusqu’où est-il lucide ? Jusqu’à quand est-il pertinent ? Peut-il prétendre toujours choisir la meilleure option pour le client, libre de ses propres déterminants, fort de ses ressources et conscient de ses limites ? Que gagne-t-il à partager et que peut-il s’autoriser à taire ? Est-il chaque fois en mesure de manœuvrer entre les nombreux écueils d’ordre déontologique auxquels sa relation client inévitablement le confronte ? Non, bien sûr.

La supervision, individuelle ou collective, qu’elle emprunte au champ psychanalytique, mette le focus sur l’interpersonnel ou privilégie l’approche systémique, tente de répondre à ces questions. Et, avec le temps – je le crois, elle y parvient. Mais, évidemment, le flux des interrogations sur sa pratique de coach et ses axes de développement ne s’interrompe jamais, et donc le besoin de supervision, censément, non plus.

C’est plutôt une bonne nouvelle, et pas que pour les superviseurs, non ?


1 Questionnaire à choix multiple

2 Supervision et analyse des pratiques professionnelles, ouvrage coordonné par Dominique Fablet, article « Intersubjectivité et conceptualisation en supervision » par Suzanne Nadot et Sandra Bruno, p.37 – Ed. L’Harmattan (2013).

3 Coaching Supervision Academy, article « Supervision de coachs : tendances, idées et définitions récentes » - article d’Edna Murdoch et Fiona Adamson (2012).